Les unités du cycle anté-sénonien
Sous la discordance des sédiments du Crétacé supérieur on peut distinguer quatre unités accolées (au sens "terrane collage"), chaque unité ayant sa propre signature lithologique, structurale et métamorphique. Elles ont en commun une origine intra-océanique.
Il s’agit de :
L'unité de Téremba (Aitchison et al., 1995), s'étend le long de la côte ouest de la baie de Saint-Vincent à la baie de Téremba (Campbell et al., 1985). Elle représente les produits de fonctionnement et de démantèlement d'un arc volcanique calco-alcalin situé plus à l'Ouest. Les terrains les plus anciens y sont datés du Permien supérieur et les plus récents du Jurassique moyen. Les sédiments s'organisent en séquences de quelques centaines de mètres d'épaisseur, inégalement répartis, séparées par des lacunes, des reprises d'érosion et des discordances locales qui évoquent un contexte de blocs faiblement mobiles. A la base, le volcanisme proximal des terrains permiens à Trias inférieur (coulées, dômes, dykes, sills, pyroclastites grossières) se distingue de la partie supérieure représentée par des dépôts majoritairement épiclastiques (grauwackes, cinérites), souvent fossilifères, de plate-forme moyenne à externe ou de talus. Les paléofaunes et flores sont remarquablement identiques à celles de Nouvelle-Zélande. Les affinités gondwaniennes au permien disparaissent par la suite au profit d'un endémisme affirmé et d'une biodiversité faible (bio province maorie, Grant-Mackie, 2000).
Les apports détritiques d'affinité continentale sont faibles. La teneur moyenne en quartz des grauwackes ne dépasse jamais 5 %. Les zircons sont rares et sub-contemporains du volcanisme. Le chimisme des produits volcaniques est de type calco-alcalin. Les valeurs de Sm et Nd caractérisent un volcanisme d'arc insulaire intra-océanique immature avec peu ou pas de contamination crustale continentale (Meffre, 1995). Le permien de l'unité de Téremba a été comparé au Brook Street terrane de Nouvelle-Zélande (Spandler, 2005) alors que la pile sédimentaire mésozoïque a été comparée au Murihiku terrane (Campbell et al., 1985).
Les unités de type Koh (Cantaloupaï, Tarouimba-Sphynx, Pocquereux, Koh, Kouah et Nassirah) correspondent à des fragments de croûtes océaniques dont la partie profonde (cumulats gabbroïques, dolérites, plagiogranites) est en contact faillé avec l'unité de la Boghen. La partie supérieure (dyke complex, pillows basaltiques, radiolarites) est souvent recouverte en accordance par les sédiments des unités volcanoclastiques permo-mésozoïques de la Chaîne centrale. Aucune de ces unités ophiolitiques n'a de base mantellique conservée. Le massif de Koh est daté du Carbonifère supérieur (302 Ma) et celui de Kouah du Permien inférieur (290 Ma ; U/Pb sur zircons, Aitchison et al., 1998). Dans le massif de Koh, un épisode de composition boninitique (Cameron, 1983; Meffre et al., 1996), s'intercale dans un ensemble majoritairement tholéiitique de type IAT et BABB. Ces unités ophiolitiques peuvent être interprétées comme les restes de bassins marginaux ou avant-arc intra-océanique, formés dans un contexte supra-subduction et sans relation avec le volcanisme des unités de Téremba ou de la Chaîne centrale.
Les unités mésozoïques de la Chaîne centrale sont constituées par des empilements monotones de turbidites volcano-clastiques (grauwackes) épais de plusieurs milliers de mètres. Des jaspes de milieu bathyal, des tufs vitreux et des argilites noires leur sont associés. Ces sédiments reposent en accordance sur les unités ophiolitiques de type Koh. De rares occurrences de basaltes (IAT) sont connues. La succession de plusieurs cycles faisant alterner périodes d'activité (sédiments épiclastiques grossiers) et de quiescence (argilites riches en matière organique) suggère l'existence de plusieurs arcs volcaniques successifs. Déformation et métamorphisme y sont modérés.
La composition des clastes de clinopyroxènes est typique des laves basiques à intermédiaires calco-alcalines d'arc (Meffre, 1995). La paléofaune, comparable, à celle de l'unité de Téremba mais beaucoup plus diluée dans l'épaisse pile sédimentaire, a permis de reconnaître depuis le Permien supérieur jusqu'au Jurassique supérieur. La découverte de zircons d'âge crétacé inférieur a récemment repoussé cette limite supérieure (Adams et al., 2009). Ages pro parte, lithologies, géochimie et paléofaune sont donc comparables à ceux de l'unité de Téremba. Ces unités représentent les produits distaux de démantèlement d'arcs volcaniques ayant fonctionnés entre le Permien et le crétacé inférieur et correspondent probablement à plusieurs unités tectono-stratigraphiques déposées dans des aires séparées à l'Est de l'unité de Téremba et accolées postérieurement.
L'unité de la Boghen (Aitchison et al., 1995) porte l'empreinte d'une déformation et d'un métamorphisme polyphasé complexe dont le chemin P-T-t oscille entre le faciès schiste vert et le faciès schiste bleu. L'unité est constamment en contact faillé avec les autres unités anté-sénoniennes. On peut distinguer :
- un ensemble ophiolitique (Cluzel, 1996) qui représente le probable plancher océanique des sédiments, dont les laves de type E-MORB3, parfois BABB et rarement OIB sont issues de sources magmatiques distinctes, non contaminées par du matériel continental ou des fluides issus d'une subduction (dorsale océanique et domaine intraplaque).
- un ensemble sédimentaire avec un pôle volcanoclastique (tuffs fins et quartzites à oligiste et sphène) et un pôle organo-terrigène (argilites noires à lits silto-gréseux).
La granulométrie, de la classe des silts et la stratification fine, millimétrique, soulignent l'origine distale de ces sédiments qui passent localement à des brèches intraformationelles désorganisées de type schistes à blocs.
La déformation polyphasée cumule plissements isoclinaux avec transposition de S0 et crénulation pénétrative. Le métamorphisme HP - BT est le plus souvent de faible degré (pumpellyite) mais atteint localement le faciès à grenat-glaucophane ± lawsonite. Les niveaux terrigènes ont fourni des zircons d'âge Carbonifère supérieur à Lias (190 - 305 Ma, Cluzel & Meffre, 2002) ainsi que Crétacé inférieur (Cluzel, inédit) montrant que ces sédiments sont en grande partie contemporains de ceux des unités de la Chaîne centrale. La datation de l'évènement métamorphique "schiste bleu" à 150 Ma (K/Ar sur glaucophane, Blake et al., 1977) est en contradiction avec les âges les plus récents fournis par les zircons détritiques et ne peut pas être prise en compte.
L'unité est interprétée comme un prisme sédimentaire déposé au large d'un arc permo-mésozoïque est-gondwanien qui aurait été subduit ("schiste bleu") en incorporant des copeaux de croûte océanique, puis exhumé ("schiste vert") au travers des unités de la Chaîne centrale.
Les unités amalgamées du cycle ante sénonien peuvent être replacées dans le cadre géodynamique cohérent (Cluzel & Meffre, 2002) d'une marge active est-gondwanienne depuis le Permien jusqu’à la fin du Jurassique (figure ci-dessous). Dans ce schéma, l'unité de la Boghen représente un complexe d'accrétion, les unités de la Chaîne centrale et de Téremba représentant les produits respectivement distaux et proximaux des arcs volcaniques correspondants. Ces derniers étaient possiblement situés à l'emplacement actuel de la ride de Lord Howe ou sur la marge est australienne. Bien que le fonctionnement de tels arcs ait pu perdurer plus de 100 millions d'années, les produits de remaniement de la partie profonde, plutonique, des arcs sont absents. Les ophiolites de type Koh seraient des fragments de bassins piégés en situation d'avant arc, le complexe d'accrétion de l'unité de la Boghen, affecté par le métamorphisme de haute pression se mettant ultérieurement en place par exhumation au sein des unités de la Chaîne centrale.